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« La clochardisation du pouvoir politique en Afrique francophone : entre héritage colonial et faillite des élites » – Oukpa Tapa KAO

L’Afrique francophone, bien que riche en ressources naturelles et en capital humain, reste prisonnière d’un paradoxe déconcertant : la persistance de la pauvreté et de l’instabilité malgré un potentiel immense. Ce paradoxe s’explique en grande partie par une crise structurelle de gouvernance. L’expression « clochardisation du pouvoir politique » illustre cette réalité où le pouvoir, vidé de sa noblesse, devient un instrument de prédation, d’avidité et de mépris envers les aspirations populaires. Cet article se propose d’analyser les origines de cette déchéance, ses manifestations concrètes, ses conséquences dévastatrices et les pistes possibles pour un renouveau démocratique en Afrique francophone.

I. Les causes de la clochardisation du pouvoir

  1. L’héritage postcolonial et la dépendance néocoloniale

L’indépendance politique n’a pas signifié rupture réelle avec les anciennes puissances coloniales. Les réseaux françafricains continuent de dicter les lignes politiques et économiques dans de nombreux pays. La persistance du franc CFA, monnaie contrôlée depuis Paris, illustre une perte de souveraineté monétaire. De plus, les élites africaines, souvent formées dans des institutions occidentales, reproduisent des schémas de domination hérités de la colonisation.

  1. La confiscation du pouvoir et le refus de l’alternance

La manipulation des constitutions pour maintenir des dirigeants au pouvoir est devenue une constante : Alassane Ouattara, Paul Biya, Obiang Nguema, Azali Assoumani, Faure Gnassingbé, Denis Sassou Nguesso, Mahamat Idriss Déby ou encore Brice Oligui Nguema en sont des exemples édifiants. Ces régimes s’appuient sur des élections truquées, une opposition muselée et une répression systématique.

  1. La corruption systémique et la prédation économique

La gestion des ressources nationales est accaparée par une minorité, transformant l’État en machine à enrichissement personnel. Le clientélisme, les pots-de-vin et les détournements de fonds publics deviennent le mode normal de gouvernance, au détriment des services sociaux de base.

  1. L’absence d’État de droit et la justice sélective

Dans nombre de pays francophones, les juges ne sont que les bras armés du pouvoir exécutif. La répression des journalistes, activistes et opposants politiques est la norme, étouffant toute critique ou tentative de réforme.

II. Manifestations de la déliquescence politique

  1. Désocialisation des dirigeants

Les dirigeants vivent dans une opulence indécente pendant que leurs concitoyens peinent à se nourrir ou se soigner. Ce fossé crée une rupture entre le sommet et la base, accentuée par des discours politiques vides de tout projet concret.

  1. Institutions faibles et illégitimes

Les parlements, souvent composés de partis godillots, n’exercent aucun contre-pouvoir réel. Les armées, plutôt que de défendre l’intégrité nationale, servent à maintenir des régimes impopulaires. Les institutions républicaines sont dévitalisées.

  1. Crises sociales et montée des violences

Le désespoir des populations se traduit par des soulèvements populaires (Mali, Burkina Faso, Guinée) et le développement de groupes armés, y compris jihadistes, qui prospèrent sur le vide sécuritaire et institutionnel.

  1. Perte de crédibilité internationale

Les chefs d’État francophones sont de plus en plus perçus comme illégitimes, corrompus et inféodés à des puissances étrangères. Beaucoup recourent à des mercenaires (Wagner, Black Mathers…) pour assurer leur sécurité, sapant davantage la souveraineté nationale.

III. Conséquences : Le cercle vicieux de la misère politique

Cette clochardisation engendre un appauvrissement massif malgré d’énormes ressources naturelles. Les jeunes, désabusés, fuient leur pays au péril de leur vie. Les États se fragmentent, deviennent ingouvernables et plongent dans un chaos chronique, tout en devenant dépendants des agendas étrangers (Chine, Russie, Turquie, monarchies du Golfe, etc.).

IV. Pistes pour une refondation politique

  1. Réveil citoyen et responsabilisation des diasporas

Les mouvements citoyens comme le Balai citoyen doivent être soutenus. Les diasporas, puissantes par leur savoir et leurs ressources, peuvent jouer un rôle déterminant via les réseaux sociaux et les plateformes alternatives d’information.

  1. Réformes institutionnelles radicales

Il est impératif d’instaurer des mandats limités, une justice indépendante et une presse libre. Sans cela, la démocratie restera un simple mot vide de sens.

  1. Souveraineté économique et rupture avec le franc CFA

Promouvoir des monnaies régionales, soutenir les banques locales, et lutter contre les flux financiers illicites sont essentiels pour rompre avec la dépendance.

  1. Panafricanisme et solidarité régionale

Les institutions comme la CEDEAO ou l’UA doivent être refondées sur des bases populaires et démocratiques. L’éducation à la gouvernance, la création d’une monnaie unique et la coopération Sud-Sud sont des leviers incontournables.

La clochardisation du pouvoir politique en Afrique francophone n’est ni une fatalité ni un destin immuable. Elle est le fruit d’un système dévoyé, d’un héritage colonial mal digéré et de pratiques politiques corrompues. Mais l’histoire offre aussi des exemples de sursaut, de résistance et de renaissance. En conjuguant prise de conscience citoyenne, rupture avec les modèles néocoloniaux, et réformes profondes, l’Afrique francophone peut retrouver la voie de la dignité et de la souveraineté.

« Un peuple qui ne connaît pas son histoire est condamné à la revivre. » – Cheikh Anta Diop

Oukpa Tapa KAO, philosophe et analyste politique des relations internationales

MAGNAWOE koudjo
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